#4- Un billet d’Emily Campeau
J’ai rencontré Emily Campeau pour la première fois en 2017 lorsque j’ai commencé Vins Nomad, elle a été la première à me recevoir au Candide à Montréal pour goûter les vins que j’amène au Québec. Pas besoin de présentation ici, tout le monde connait Emily Campeau. Chef, sommelière et désormais vigneronne, elle a pas mal baroudé, changé de carrières à plusieurs reprises, une personne avec des convictions, engagée et autodidacte comme j’aime. Quand j’ai commencé le blog, j’ai toujours eu dans l’idée de faire participer à l’écriture des personnes dont j’aimais la plume. Emily en fait partie. Elle a gentiment accepté d’écrire un billet sur son parcours, ses choix de vie, sa vision du vin et de broder autour de cela. Un texte brut et sincère à la Emily Campeau qui comme à son habitude boxe avec les mots. Prost Emily!
“A good head and good heart are always a formidable combination. But when you add to that a literate tongue or pen, then you have something very special.” Nelson Mandela
Blog Nomad - Emily Campeau, Restaurant Candide.
“Je dit souvent à la blague que John Winter Russell était complètement fou de m’engager. Après deux pintes de bière flat au Burgundy Lion pour mon « entrevue », une porte s’est ouverte vers une nouvelle opportunité: il était convaincu que j’étais la personne qui lui fallait pour faire la carte des vins de son futur restaurant. Pour ma part, j’avais des doutes.
Je suis rentré à New York où j’habitais à l’époque le ventre plein de papillons, tout en m’efforçant de garder la tête froide. Mais chose certaine, je savais qu’une offre pareille en était de celles qui passent peu souvent au cours d’une vie. J’étais terrifiée de ne pas être à la hauteur, d’en savoir trop peu, j’avais peur de surestimer ma propre capacité à relever cet énorme défi. J’arpentais sans relâche les rues de Manhattan cet automne-là en espérant trouver la clarté d’esprit nécessaire pour prendre une décision, un indice caché dans un parc bitumineux ou dans un stand à hotdog insalubre. Trois semaines et des dizaines de kilomètres plus tard, c’est assise sur un banc à l’ombre du Palais de Justice à la sortie du métro Brooklyn Bridge/City Hall que j’ai décroché le téléphone. Le 30 octobre 2015, une journée avant la fin du délai convenu, je suis devenue la future sommelière de Candide.
Quitter New York, ma ville adoptive aux ombres sales, au bruit constant, aux possibilités infinies me faisait mal au coeur. Mais j’étais fière et confiante de ma décision finale. J’avais l’innocence nécessaire pour croire que la transition se ferait en douceur.
J’avais aucune idée de ce qui m’attendait.
À cette époque, je n’avais pas encore fait de vin moi-même, ni même mis les pieds dans un chai de ma vie. Mais j’avais investi tous mes temps libres depuis plusieurs années à lire sur le vin de façon assidue. J’avais poursuivi mon éducation en dents de scie durant mes années à New York, en fréquentant assidûment la vaste de cave de Chambers Street Wine, parfois pendant les heures d’ouverture, plus souvent lorsque la clé avait été mise sous la porte à 21h (une plage horaire affectueusement surnommée Chambers Street Wines After Hours). J’avais évolué en dégustation, je prenais doucement confiance en mon palais, je me créais toutes sortes de petites catégories mentales pour ranger les vins que je buvais selon ce qui me plaisait, ou non, et pourquoi. Je tissais des liens entre style et vigneron, entre région et structure, entre climat et millésime.
À l’époque où je travaillais dans la cuisine chez Racines, je portais une oreille attentive à tous les professionnels et amateurs de vin qui s’assoyaient au bar de la cuisine ouverte et parlaient de plus en plus fort à chaque bouteilles bues de leurs trophées et exploits, de leurs celliers de collection, de leurs nombreux voyages vers ces régions viticoles imprimées sur du papier glacé dans mes livres. Et j’acceptais bien sûr avec bonheur lorsque ceux-ci partageaient généreusement leurs bouteilles avec la cuisine.
Mes débuts au Candide furent rocailleux car transitoires, d’une carrière en cuisine à un poste dans le monde du vin pour lequel j’étais loin d’être prête. Occuper un poste en sommellerie est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît (pas juste payé pour boire du vin), et les attentes envers mes compétences (presque nulles) étaient élevées. J’ai souvent eu l’impression de perdre pied, et j’ai souvent comparé cette première année à se sentir comme un nouveau-né qui marche tout nu dans la neige, dans le noir. La métaphore n’est pas exagérée. J’ai eu envie de tout crisser ça là et de retourner dans le confort de la cuisine à maintes reprises, là où au moins je savais quoi faire la plupart du temps.
Au risque de sonner comme un congrès de life coaching, j’ai misé sur ce qui me semblait le plus propice pour continuer avancer : l’ambition de vouloir faire bien et mieux, un programme vin axé sur l’éducation et le partage des connaissances, un équilibre vie-travail relativement sain, surtout comparé aux années qui ont précédé.
Mais il y a une chose en laquelle je n’ai jamais douté: le chemin à prendre quant à la philosophie générale du programme vin pour le Candide. Celui parsemé de vins issus d’une agriculture engagée et respectueuse de l’environnement et d’une vinification intuitive (et non sorti d’un manuel de fabrication). Le choix était facile, puisqu’au fil des années, ce fut les vins qui avaient fait battre mon coeur jusque-là, et qui continuent de me faire vivre des émotions aujourd’hui, 12 ans plus tard (sic). Souvent nommés « vins natures », même si plusieurs dénoncent le manque de justesse de ce terme. J’oscille entre les deux camps; car même dans les vins où les manipulations sont réduites au minimum, il reste le fait saillant que la culture de la vigne et tout ce qui s’y rattache est intrinsèquement contre-nature, et requiert la main de l’homme pour exister. En revanche, je crois qu’avoir un terme auquel se raccrocher est porteur, puisque celui-ci peut sortir de son petit cercle élitiste et rejoindre le grand public qui aura un mot pour décrire un type de vin qu’il apprécie. Le danger, c’est que celui-ci deviennent une valise par manque de définition ou par dogmatisme, un débat enflammé sur lequel je ne rajouterai pas d’huile.
Le vin nature est un état d’esprit, c’est une intention, selon mon humble avis.
Choisir de travailler en respectant la nature vient du coeur, de l’envie de faire une différence, avec ou sans toutes les certifications du monde.
C’est une relation intime entre un producteur et son écosystème, avec des hauts et des bas, le désir profond de se comprendre et de prendre soin l’un de l’autre. C’est un choix aussi. Celui de choisir la voie de l’agriculture régénératrice, de limiter son empreinte dans le vin fini, de vouloir photographier un endroit et un moment sans retouches majeures, et croiser les doigts que quelqu’un appréciera le produit d’un an de labeur.
(Je pense sincèrement que les entreprises malhonnêtes qui utilisent le terme « nature » a des fins de marketing pour mousser leur ventes savent très bien qu’ils sont des hypocrites. De même que ceux qui travaillent bien, en dedans ou en dehors des certifications, ont confiance que leurs gestes sont appropriés pour la préservation de leur terroir.)
Il est contre-productif de se lancer dans des débats quant à savoir qui est le plus extrémiste dans sa démarche lorsqu’on parle d’agriculture biologique/biodynamique, c’est plutôt un intérêt dans la collectivité de ce mouvement qui nous propulsera vers l’avant, en apprenant ensemble. La route sera encore longue. Même si pour nous, amateurs de vins vivants, il est difficile de concevoir qu’une écrasante majorité de la population ne se soucie pas du mode de culture de la vigne ni du nombre inquiétants de produits chimiques permis dans l’élaboration des vins conventionnels, la réalité est affligeante. Surtout dans l’état d’urgence environnementale où nous nous trouvons actuellement. En faisant le choix de servir ce type de vin au Candide (et sur notre site web, réalité oblige), c’est une des façons de faire notre part dans la propagation de la bonne nouvelle, et d’intégrer de nouveaux membres dans ce club de joyeux consommateurs éclairés.
Être dans *le milieu du vin* est souvent glamourisé à outrance, et particulièrement celui du vin nature ou on parle souvent « d’énergie », de « magie », de « terroir » et « d’âme » (coupable, votre honneur). J’ai appris humblement au fil du temps que c’est parfois, souvent, moins romantique que ce qu’on veut bien voir sur des photos Instagram pendant les vendanges (encore coupable). Être vigneron.ne est aussi un chemin parsemé de doutes et d’embûches, de décisions lourdes de conséquences, de projets ratés, d’inquiétudes et de stress. C’est un parcours qui comporte son lot d’émotions fortes. (Bien sûr, il y a beaucoup de bon dans la balance aussi, sinon on boirait juste de la bière.)
C’est pourquoi au Candide dès le départ, notre approche était/est centrée sur la personne derrière la bouteille: son histoire, ses défis, sa réalité. Très peu de *ce vin goûte la framboise* et autres notes subjectives lors de nos passages à table et ceci s’explique facilement: les goûts varient, et les dégustateurs aussi. Notre travail n’est pas de vous dicter ce que vous devriez goûter dans un vin. Il est plutôt de vous faire découvrir des gens qui produisent des vins que nous jugeons exceptionnels, qui risquent de vous sortir de votre zone de confort. Favoriser l’échange entre nos goûts respectifs.
Puisque j’ai eu une éducation qu’on pourrait classifier de sur le tas, je ne posséde pas les références d’un curriculum quelconque qui sont drillées à de jeunes sommeliers, alors j’ai organisé mon discours comme bon me semblait. En dégustation par le passé, j’avais souvent des références culinaires obscures que personne ne comprenait, et ça me rendait mal à l’aise de ne pas être dans la gang et sentir ce que les autres sentaient. J’ai finalement compris qu’une bibliothèque olfactive est comme un coffre aux trésors des odeurs marquantes de notre vie et qu’elle diffère pour chacun, mais non sans avoir été humiliée de ne pas percevoir les mêmes notes ésotériques que mes collègues au passage.
Puisque les vins choisis sur notre carte sont fait par des humains, j’ai choisi cette information comme point de départ. Connaître le nom d’un producteur, des détails sur sa personne et sa démarche, sur un vin en particulier semblait être un entonnoir de proximité qui établirait une connexion entre le client et le producteur. Les sommeliers ne sont qu’un entremetteur entre ces deux entités.
J’ai fait des tonnes d’erreurs à mes débuts (et j’en fait encore plein aujourd’hui). Comme celle d’acheter à certains distributeurs qui embellissent la réalité, ou acheter des étiquettes que je savais prestigieuses pour ensuite visiter les vignes et me rendre compte que c’était très loin d’une vision en ligne avec notre philosophie. J’ai appris de ces erreurs et j’ai appris à faire mes propres recherches, telle une conspirationiste en 2020. Lentement, notre réseau de contacts s’est agrandi, la carte s’est garnie de vins d’amis et d’amis d’amis, le vin québécois a explosé, et notre programme a pris de l’ampleur. En restant fidèle à cette philosophie de faire confiance à l’humain, et de respecter son travail en prenant le temps de bien l’expliquer à table”